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Construction de l’outil psychométrique d’évaluation des valeurs professionnelles
Stéphanie Rambaud est docteure en Psychologie et travaille à la conception des outils psychométriques pour JobTeaser et veille ainsi à proposer des outils valides d’un point de vue scientifique. La mission de JobTeaser est d’accompagner la nouvelle génération à se révéler et à s’épanouir professionnellement dans toute l’Europe. Stéphanie est aussi chercheure affiliée au LaPEA (Laboratoire de psychologie appliquée et d’ergonomie, Université de Paris, France). Ses principaux thèmes de recherche sont : les émotions - la connaissance de soi - l'orientation professionnelle - les relations sociales et le bien-être. Elle travaille également comme chercheure indépendante et formatrice dans le cadre de missions spécifiques (contact : innovation@jobteaser.com)
Cadre théorique
Définitions
Une valeur se définit comme une représentation mentale du désirable (i.e. idéal, moral) qui s’exprime à travers des opinions, des attitudes et des choix. La majorité des auteurs s’accordent pour dire que les valeurs sont des types de motivations (e.g., Schwartz, 1996; Tisdale, 1961). Elles représentent des buts désirables à atteindre et servent de bases ou de critères pour guider l’action et la pensée de l’individu (Rokeach, 1979; Schwartz, 1996).
En ce sens, les valeurs professionnelles sont définies comme les objectifs que les individus souhaiteraient atteindre par le travail (Brief, 1998; Cherrington, 1980; Frieze, Olson, & Murrell, 2006; Nord, Brief, Atieh & Doherty, 1988). Il doit y avoir correspondance entre les valeurs priorisées par l'individu et les valeurs véhiculées par le milieu professionnel pour que l'individu puisse ressentir de la satisfaction au travail (Dawis, Lofquist, & Weiss, 1984; Gillet, Berjot, & Paty, 2010 ; Holland, 1966, 1973). Ainsi, les valeurs permettent d'aider aux décisions vocationnelles. Selon Sagiv (2002) et Wach (2005), les valeurs apportent un complément d’informations aux intérêts professionnels (i.e. branches d’activités d'intérêt, mesurées dans notre outil Marco), notamment en cas de situations conflictuelles concernant des choix d'orientation.
Les modèles de valeur
Dans ce contexte théorique, nous avons fait le choix d’identifier et d’évaluer les valeurs professionnelles comme des motivations extrinsèques transmises par l’environnement de travail (i.e. actions provoquées par une condition extérieure à l’individu, telle que la récompense). En effet, la motivation extrinsèque implique que la satisfaction ne provient pas de l’activité en elle-même (i.e. mesurée dans Marco), mais plutôt de facteurs externes liés à l’engagement dans celle-ci (e.g., la reconnaissance).
Chaque personne a tendance à hiérarchiser ses valeurs professionnelles, c’est-à-dire que de son point de vue, certaines valeurs sont plus importantes que d’autres. La hiérarchisation est importante car dans un choix professionnel, plusieurs valeurs peuvent être en concurrence (e.g., un poste très bien rémunéré mais avec peu d’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle, ou un poste peu rémunéré mais dans une entreprise à mission). L’importance relative de ces valeurs, c’est-à-dire les unes par rapport aux autres pour l’individu, déterminera le choix.
Les modèles existants autour des valeurs sont souvent élaborés sur le principe de la parcimonie. En effet, il existe un nombre infini de valeurs et donc les dimensions obtenues dépendent des valeurs identifiées a priori. De ce fait, les modèles comptabilisent un nombre réduit de valeurs ce qui peut entraîner des difficultés à généraliser les résultats au niveau individuel ou générationnel.
Les nombreuses études scientifiques réalisées s’accordent principalement autour d’un modèle hiérarchique composé de 4 grandes familles de valeurs professionnelles regroupant elles-mêmes plusieurs sous-dimensions (e.g., Lyons, 2003). À titre d’exemple, le modèle de Cameron et Quinn (2011) met en évidence les cultures d'entreprises en les opposant selon deux axes : La stabilité vs. la flexibilité, et la cohésion sociale vs. les résultats. Or ce modèle est lui-même très similaire à celui des valeurs de base proposé par Schwartz (2012) qui regroupe aussi quatre dimensions, elles-mêmes transposables au domaine professionnel (Ros, Schwartz, & Surkiss, 1999).
Les études les plus récentes s’intéressant aux valeurs professionnelles partagées par les différentes générations portent principalement sur la différence entre Génération Y (i.e. 1981-2004) et Génération X (i.e. 1966-1980 ; e.g., Stankiewicz, & Łychmus, 2017). Hewlett et coll. (2009) ont constaté, par exemple, que les représentants de la génération Y avaient un besoin accru - par rapport aux représentants de la génération X - de reconnaître le sens du travail qu'ils accomplissent, et se caractérisent par une plus grande sensibilité aux conséquences sociales et environnementales de leurs actions. À notre connaissance, très peu d’études portent sur les valeurs professionnelles de la Génération Z. En effet, cette génération est encore peu présente dans le monde du travail ce qui pose un problème de représentativité.
C’est pourquoi nous avons souhaité créer un nouveau modèle qui serait plus adapté aux valeurs de la nouvelle génération (e.g., justice sociale, engagement environnemental) mais inspiré des modèles préexistants de la littérature.
Construction du questionnaire
Le pré-test
Participants
Afin de pré-tester un premier pool d’items, six cents quatre-vingt-dix-sept participants âgés entre 18 et 30 ans ont complété volontairement notre questionnaire en ligne via TypeForm (49,35% de genre féminin, 50,07% de genre masculin, 0,57% autres). Le recrutement des participants s’est effectué par l’intermédiaire d’un panel payant. Nous avons retiré de l’échantillon les participants ayant passés plusieurs fois le questionnaire ou n’ayant pas respecté notre consigne (N=38). Notre échantillon final comporte ainsi six cent cinquante neuf participants (49,47% de genre féminin, 49,92% de genre masculin, 0,61% autres ; Mâge = 24, ET = 4).
Matériel et procédure
Après avoir lu la consigne, les participants étaient invités à répondre à cinquante quatre items. Pour chaque item, le participant évalue son importance à l’aide d’une échelle de mesure ordinale en dix points allant de “Pas du tout important pour moi” à “Tout à fait important pour moi”. Les cinquante quatre items ont été pré-construits afin de couvrir les valeurs selon les modèles pré-existants et adaptés à la nouvelle génération.
À la fin du questionnaire, les participants devaient répondre à des données socio-démographiques (genre, âge, statut).
Analyses de données du pré-test
Les analyses statistiques effectuées sur le pré-test constituent la première étape de construction du modèle. Elles permettent de définir les dimensions de notre modèle et d’écarter les items les moins représentatifs.
Ainsi, tous les items ont été soumis à une analyse de classification ascendante hiérarchique, qui permet d’obtenir un arbre de regroupement hiérarchique des items (i.e. dendrogramme). L’analyse révèle l'existence de cinq clusters en utilisant la méthode de ward (pour distance euclidienne entre les items). Pour arriver à ce nombre, nous avons choisi le partitionnement le plus harmonieux (i.e. amenant à une meilleure homogénéité intra-cluster). Le premier cluster regroupe cinq items mesurant l’engagement social et environnemental. Le deuxième cluster regroupe onze items mesurant la coopération et la bienveillance. Le troisième clusters est composé de huit items évaluant l’équilibre et les conditions de travail. Le quatrième cluster concerne la stimulation et le développement de soi à travers neuf items. Enfin, le dernier cluster regroupe treize items mesurant la reconnaissance sociale et le statut.
Notre modèle est ainsi composé de deux niveaux (voir figure 1.), le premier étant composé des cinq clusters cités précédemment et le deuxième de 18 sous-dimensions représentant des valeurs plus spécifiques (e.g., soutien professionnel, défi, indépendance). Chacun des grands clusters regroupent trois à cinq sous-dimensions.
Notre modèle final est ainsi composé de quarante six items, les huit items les plus éloignés de leur regroupement ayant été supprimés.
Figure 1. Les dimensions du modèle Freya
Conclusion
Le modèle que nous avons créé, dans le but d'identifier les valeurs des individus de 18-30 ans en France, retrouve la structure des modèles de la littérature scientifique, à savoir quatre dimensions portant sur : les conditions, l’accomplissement (c.f. stimulation et développement de soi), les valeurs sociales (c.f. coopération et bienveillance) et le prestige (c.f. reconnaissance sociale et statut ; Lyons, 2003 ; Ros, Schwartz, & Surkiss, 1999). La nouveauté de notre modèle se trouve dans l’apparition d’une cinquième dimension portant sur l’engagement social et environnemental qui, dans les modèles de la littérature, était jusque-là intégrée dans la dimension “valeurs sociales”. En effet, cette dimension regroupe de manière distincte des besoins centrés sur l’éthique au travail (e.g., la justice sociale) dont la génération Z se préoccupe particulièrement (Lidija, Kiril, Iliev, & Shopova, 2017).
Le questionnaire
Modalité de passation
Dans sa version mise en ligne, Freya comporte les quarante six items issus du pré-test qui permettent d'identifier l'importance des valeurs pour l'épanouissement de l'individu à travers deux exercices. Dans le premier à la modalité normative, les participants doivent se situer sur chacun des items à l'aide d’une échelle de mesure ordinale en onze points allant de “Pas du tout important pour moi” à “Tout à fait important pour moi”. Afin de proposer une hiérarchisation des valeurs, un deuxième exercice à la modalité ipsative (i.e. choix entre deux options) est présenté au participant. En fonction des résultats à l'exercice précédent, le participant voit les items des valeurs, sur lesquelles il obtient des scores identiques, présentés sous forme de paires de cartes. Pour chacune des paires, le participant doit choisir la valeur la plus importante pour lui.
Principe de cotations
L'outil psychométrique Freya a pour objectif d’évaluer les valeurs professionnelles de l’individu selon les cinq grandes familles du modèle, avec les 18 valeurs regroupées dans ces familles. Chacune des cinq familles est ainsi évaluée à l’aide de cinq à treize items par le biais d’un pourcentage. Ce taux est calculé à partir de la somme des scores à tous les items composant la famille. Les 18 besoins sont mesurés au travers d’un à quatre items, et sont ensuite classés par rang selon l’importance accordée par le participant lors de l’exercice n°2.
Prochaine étape
Un outil psychométrique doit respecter trois grandes qualités : il doit être sensible (discriminant), fidèle (stable) et valide (concordant avec le construit). Puisque notre pré-test constitue la première étape d’une lourde validation scientifique qui doit amener à une version ultérieure, les futurs éléments d’analyses statistiques seront effectués selon ces qualités psychométriques.
Ainsi, la dernière étape de validation scientifique de notre outil Freya sera effectuée sur la version actuelle en ligne et fera l’objet d’un rapport psychométrique. Cette nouvelle version de l’outil pourra être sujette à itération et sera donc plus robuste grâce à nos analyses statistiques effectuées. Toutes ces étapes dans la construction de l’outil nous permettent ainsi de fournir au participant un bilan fiable de ses valeurs professionnelles.